Vision artistique

Nika Stein | Photographe : Julia Mercier

Vision artistique

Pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même.
Henri Bergson, L’évolution créatrice

Cette biographie trace quelques lignes conductrices qui me semblent significatives à ce moment-ci de mon parcours. Le mystère réside dans ce qui était là, dans mon être — avant qu’il s’imprègne de culture et des diverses formations formelles et informelles que j’ai suivies — et dans le lien entre cet avant et cet après.

Je suis née en Russie et j’ai grandi en Ukraine jusqu’à mes 14 ans. Par la suite, après neuf mois en Italie, je suis venue m’installer au Canada avec ma famille. Depuis, j’ai fait ma vie à Tiohtià:ke/Montréal, à l’exception d’un séjour de trois ans au Texas où j’ai étudié en danse. Ma langue première est le russe. Ma mère est Russe et mon père est juif. Bien que je me nourrisse de plusieurs traditions, mes origines culturelles russes, juives et ukrainiennes demeurent une source vitale d’inspiration.  

J’ai obtenu mon baccalauréat en danse contemporaine à l’Université Concordia, à Montréal. Cette formation était centrée sur le processus créatif et son expression en danse, la chorégraphie. Le cadre pédagogique — que tout mouvement peut être considéré comme une source créative en danse — m’a donné la liberté de devenir l’artiste que je suis. Pour cela, je serai toujours reconnaissante à l’égard de ce programme et des personnes qui m’ont enseigné. Par un heureux hasard, j’ai suivi, en même temps que mon baccalauréat en danse, une formation professionnelle en psychothérapie corporelle à l’École québécoise de formation de psychothérapeutes (aujourd’hui fermée). Mes grands-parents étaient tellement terrifiés par la perspective que je gagne ma vie en danse qu’ils m’ont offert de payer la moitié de cette formation et ont convaincu mes parents de payer l’autre moitié. Ma formation en psychothérapie est depuis un compas fidèle pour arrimer, dans chaque nouveau processus créatif, mes intentions artistiques avec la réalité du corps et de la psyché. La peur et la honte, par exemple, peuvent bloquer la créativité. Les outils de la psychothérapie corporelle permettent de libérer et de digérer ces émotions pour laisser libre cours à la création.


Nika Stein | Photographe : Nico Contreras

Après avoir obtenu mon diplôme de Concordia, je dansais, j’inventais des chorégraphies, j’enseignais la danse et je travaillais comme massothérapeute et comme intervenante psychosociale dans des organismes communautaires. Mes grands-parents ne s’étaient pas trompés, cette formation en psychothérapie m’a été utile, autant comme gagne-pain que pour apprendre sur la vie. Mes premières communications maladroites avec les diffuseurs et les agences subventionnaires m’ont laissé plutôt perplexe. J’ai fini par comprendre : en Amérique du Nord, du moins, l’artiste se doit d’avoir de fortes compétences en gestion et en commercialisation, ou bien s’associer avec une personne dotée de ces compétences.

Cinq ans après avoir obtenu mon baccalauréat en danse, je suis allée au Texas suivre le programme de maîtrise des beaux-arts en danse contemporaine (Master of Fine Arts) de la Texas Woman’s University. Ce programme rigoureux de trois ans m’a permis de solidifier mon expérience dans les domaines de l’improvisation, de la chorégraphie, de l’interprétation et de la pédagogie. C’est aussi au Texas que j’ai vécu pour une deuxième fois l’inconfort d’un nouveau milieu culturel, mais cette fois sans famille. Encore une fois, j’ai été forcée de m’ouvrir à de nouvelles personnes et à d’autres façons de penser. J’ai réalisé que le Texas est beaucoup moins uniforme culturellement et idéologiquement que l’on se l’imagine depuis Montréal. Cette leçon de nuancement et d’ouverture restera en moi toute ma vie, peu importe le pays où je serai et la culture qui m’entourera.

Depuis mon retour à Montréal, je danse, je chorégraphie, je participe à des projets interdisciplinaires, j’enseigne, je coordonne des projets de médiation culturelle et je travaille comme massothérapeute et comme intervenante psychosociale. Toutes ces activités enrichissent grandement ma pratique artistique. 

Les Filles, Nika Stein avec l’interprète Cristy Jefferson et la musicienne Susan Myatt, scénographie par Wendy Robbins | Photographe : Wendy Robbins

Vision artistique

Mes créations célèbrent la vie, tout en s’opposant aux structures et aux pratiques sociétales qui empêchent son expression. J’utilise ce mot — vie — dans le sens du processus fondamental qui se manifeste à travers les corps vivants et l’environnement naturel.

Je suis chorégraphe et interprète interdisciplinaire. Je transcende volontiers les frontières des disciplines particulières à la recherche du vocabulaire et du contexte qui s’harmoniseront avec mes intentions artistiques.

Processus créatif = Processus de transformation

Mes défis chorégraphiques émergent habituellement d’une volonté d’incarner quelque chose qui n’existe pas encore dans mon monde. Par incarner, j’entends littéralement créer une réalité au sein du corps de l’interprète, dans la relation entre les interprètes ou entre les interprètes et l’environnement.

Mon corps et ma psyché, mon laboratoire

Comme jeune chorégraphe, j’ai surtout privilégié la recherche chorégraphique par et dans mon propre corps. J’ai reconnu ce processus créatif comme un acte d’une grande puissance qui m’a donné l’occasion d’exprimer mes multiples identités, de m’autodéterminer et de développer mon langage chorégraphique. Même si j’adore la dynamique du travail avec d’autres interprètes, je reviens régulièrement vers le travail où je suis moi-même l’interprète de mon œuvre. Pour moi, ce retour périodique est nécessaire pour garder contact avec cet exercice exigeant, mais très enrichissant. Je ne voudrais pas demander aux interprètes de s’engager dans un cheminement que je ne suivrais pas moi-même. C’est aussi une excellente façon de reconnecter à l’humilité de la condition humaine : ce que je veux faire exister dans mon corps dépasse toujours mes capacités actuelles.

Les collaborations multiplient nos possibilités communes de création

C’est un plaisir et un privilège de découvrir le monde de chaque personne avec laquelle je collabore. La pluralité des disciplines, des cultures et des traditions, des corps et des modes de pensée, des forces et des faiblesses, toute cette diversité enrichit notre travail créatif. La magie de chaque équipe créative est unique et indescriptible. Toutefois, dans tous mes projets collaboratifs, les valeurs fondamentales restent les mêmes :

  • La communication
  • Le consentement : Je veux uniquement inviter les interprètes et les autres personnes avec qui nous collaborons à offrir ce qu’iels désirent pour elleux-mêmes.
  • L’équité : L’échange doit être ressenti comme équitable par tout le monde qui participe. C’est-à-dire que les membres du projet sont satisfait·es de leur contribution par rapport à ce qu’iels en ont retiré.